Profils de persécution: Loujain al-Hathloul

Loujain Al-Hathloul est une défenseuse saoudienne des droits humains et des droits des femmes,  de 31 ans, qui a été arrêtée par les autorités saoudiennes pour avoir pacifiquement plaidé en faveur des droits des femmes. En mars 2018, elle a été arrêtée alors qu’elle vivait aux Émirats arabes unis et ramenée de force en Arabie saoudite. Les autorités lui ont imposé une interdiction de voyager et l’ont brièvement libérée avant de l’arrêter à nouveau en mai de la même année. Loujain a passé 1001 jours derrière les barreaux jusqu’à ce que sa peine soit suspendue le 10 février 2021. Toutefois, la libération de Loujain était conditionnelle : elle ne peut quitter le pays pendant cinq ans ni parler publiquement de son séjour en prison.

Elle a bravement débuté son combat pour les droits des femmes depuis le Canada, au début des années 2010, par le biais de médias sociaux. Rapidement, elle est devenue l’un des leaders du mouvement pour les droits des femmes en Arabie saoudite. Elle a été une figure marquante des campagnes « Together We Stand to End Male Guardianship of Women » (“Nous unissons nos forces pour mettre fin à la tutelle masculine”) et #WomenToDrive (“Pour que les femmes conduisent”)  puisqu’elle a notamment affiché des photos de femmes bravant l’interdiction de conduire en Arabie saoudite, laquelle n’a été levée qu’en 2018. Elle s’est également distinguée en fondant un refuge pour les femmes fuyant les violences domestiques.

Avant son arrestation, Loujain a également mené des actions de plaidoyer nationales, internationales et non gouvernementales. En 2015, elle s’est présentée aux élections des conseils locaux après qu’un décret royal ait permis aux femmes de voter et de se présenter aux élections. Cependant, son nom n’a jamais été ajouté au bulletin de vote. Elle a représenté le Global Compact des Nations Unies aux Emirats, une initiative visant à encourager les entreprises du monde entier à adopter des politiques durables et socialement responsables. En outre, elle a été jeune ambassadrice de l’organisation caritative britannique ‘One Young World’.

Loujain a été arrêtée sur la base d’accusations liées à son activisme. Elle a été inculpée pour avoir collaboré avec des organisations internationales, des militants saoudiens et des dissidents à l’extérieur du pays, pour avoir reçu un soutien financier de leur part, pour avoir soutenu l’Association saoudienne pour les droits politiques et civils, pour avoir postulé à un emploi aux Nations Unies, pour avoir révélé ses conditions d’incarcération à plusieurs diplomates et journalistes étrangers et pour avoir plaidé en faveur de l’abolition du système de tutelle masculine.

Lorsque Loujain a été arrêtée en 2018, elle a été kidnappée alors qu’elle conduisait aux Émirats arabes unis, où elle vivait et étudiait à l’époque. Elle a été rapatriée de force en jet privé en Arabie saoudite, un pays qu’elle ne pourra plus quitter par la suite.

Aucun mandat n’a été présenté à Loujain lors de son interpellation, et les agents qui l’ont arrêtée n’ont pas verbalisé ses crimes présumés. En outre, très peu de temps après son arrestation, des médias saoudiens contrôlés par le gouvernement ont lancé une campagne de diffamation à son égard, la qualifiant de traître à son pays.

Le 21 mai 2018, elle a été transférée dans une prison secrète où elle a été interrogée en étant torturée pendant deux mois. Loujain n’a pas été autorisée à appeler sa famille avant le 6 juin. Pendant sa détention, Loujain a été victime de torture et d’autres formes de maltraitance. La famille de Loujain a rapporté que, notamment en isolement, elle a été « battue, plongée dans l’eau, soumise à des chocs électriques, harcelée sexuellement et menacée de viol et de mort ». Ils ont également indiqué que l’auteur des menaces et des mauvais traitements était Saud al-Qahtani, un  haut conseiller royal. Entre autres pratiques dégradantes, il l’a obligée à manger pendant le ramadan. En novembre de la même année, elle a reçu la visite de la Commission saoudienne des droits de l’homme, qui a décidé de ne pas divulguer les témoignages sur les tortures qu’elle avait subies.

Un an après son arrestation, le 12 mars 2019, sa famille a été informée en pleine nuit par la Sécurité de l’État que Loujain devait être jugé le lendemain. Ce n’est qu’à ce moment-là que Loujain a été informée de ses chefs d’accusation.

En août 2019, les autorités saoudiennes ont rédigé une déclaration que Loujain devait signer, niant toutes les allégations de torture. En contrepartie, elle aurait prétendument été libérée. Elle a refusé de signer et ses mauvais traitements ont donc continué.

Au bout d’un moment, Loujain a eu besoin d’une visite médicale. Cependant, les autorités ne l’ont pas laissée communiquer avec le médecin dans une autre langue que l’arabe, alors que le médecin qu’elles avaient désigné ne parlait que l’anglais. Loujain n’a donc pas pu lui faire part de son état de santé.

Sa deuxième session de procès n’a eu lieu qu’en avril 2019. Une fois encore, elle n’a appris les charges qui pesaient sur elle qu’au cours du procès. Par la suite, la famille de Loujain n’a pas eu de nouvelles d’elle pendant quatre mois. Loujain n’a réussi à obtenir une visite de sa famille qu’en faisant une grève de la faim pendant six jours.

Plusieurs demandes internationales ont été formulées pour la libération de Loujain. Depuis son arrestation, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) ainsi que des experts des droits de l’homme des Nations Unies ont appelé à sa libération urgente. Avant sa première audition, le député français Jean-Baptiste Moreau (Parti LREM), président du groupe d’amitié parlementaire France-Arabie Saoudite et Najwa El Haïté, avocate et élue municipale d’Evry-Courcouronnes, préfecture de l’Essonne, ont publié une tribune pour demander sa libération définitive et la levée de son interdiction de voyager. Le député a publié une autre déclaration le jour de sa seconde audience, le 10 mars 2021. ADHRB, Women’s March Global, le Service international pour les droits de l’homme et MENA Rights Group se sont joints au député Moreau pour demander la libération définitive et inconditionnelle de Loujain, ainsi que son droit au retour en France. En effet, la France et d’autres pays tels que le Canada et les Etats-Unis souhaitaient vivement sa libération.

Cependant, la correspondance que Loujain a entretenue avec des journalistes, des ONG, des organisations gouvernementales et internationales a été retenue contre elle et, entre autres, les Nations Unies, l’ambassade britannique, l’Union Européenne et les Pays-Bas ont été qualifiés d' »entités terroristes » par les autorités saoudiennes.

Bien que l’Arabie saoudite n’ait officiellement signé ni le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ni le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, elle est tenue, en tant que membre des Nations Unies, de respecter les droits humains fondamentaux. La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) est une norme du droit international coutumier, et les mauvais traitements infligés à Loujain ainsi que son arrestation violent plusieurs accords internationaux auxquels l’Arabie saoudite est partie. La torture qu’elle a subie va à l’encontre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et son arrestation sans mandat pour avoir manifesté pacifiquement en faveur de son droit de conduire va à l’encontre de la DUDH et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW). En outre, le fait de la persécuter pour avoir exprimé des critiques à l’encontre du gouvernement va à l’encontre de sa liberté d’expression fondamentale.