Le Tour de France pour “laver” l’image de Bahreïn

Ce samedi, 29 août 2020, le Tour de France va débuter. Cette course cycliste est suivie à travers le monde et diffusée à la télévision dans 190 pays (avec approximativement 1 Milliard de téléspectateurs chaque année). Depuis 2017, l’équipe « Bahreïn-McLaren » (anciennement appelée « Bahreïn-Merida ») prend part à cette course. Bahreïn-McLaren a été fondée et appartient au Prince héritier Nasser bin Ahmed al-Khalifa (fils du roi du Bahreïn, Hamad ben Issa al-Khalifa). Depuis quelques années, des investisseurs privés venus du Golfe, souvent membres des familles royales (riches princes ou émirs) sont entrés dans le capital de nombreuses équipes sportives très influentes. Cette pratique a un nom : le « sport-washing » (littéralement laver par le sport).

Le « sport-washing » est une technique par laquelle de riches chefs d’États ou businessmen tentent de couvrir leur mauvaise réputation sur la scène internationale en s’associant avec des sports, profitant ainsi de leur influence et résonance positive auprès du grand public. Des pays où la situation des droits de l’Homme laisse à désirer tentent de faire oublier les abus répétés grâce à des évènements à retentissement mondial comme les Jeux Olympiques, la Coupe du Monde ou encore le Tour de France.  La stratégie officielle de Bahreïn, telle qu’elle a été exposée dans le cadre du rachat de 20% des parts du club de football du Paris FC, est « d’accroître son image et sa notoriété, de promouvoir la découverte de ce petit pays et d’impulser le tourisme ».

En effet, l’objectif de la famille royale de Bahreïn est de s’assurer que le nom « Bahreïn » soit mondialement associé à des sports très populaires comme le football, le cyclisme ou la formule 1 plutôt qu’aux violations des droits humains, qu’aux nombreux cas reportés de torture par des fonctionnaires du gouvernement ou qu’à la violente répression de toute opposition politique ou religieuse. Cet article vise à élever la conscience générale au sujet de la situation actuelle à Bahreïn. Par conséquent, dans le but de rediriger l’attention du grand public sur les violations systématiques des droit humains dans le pays, ADHRB dresse le portrait d’une des victimes de ces abus répétés. Cet homme a subi une arrestation arbitraire sur son lieu de travail, sans respect des obligations légales, a été détenu et torturé par les services gouvernementaux et a été condamné à mort dans un semblant de procès. Aujourd’hui, nous allons attirer l’attention du public sur Mohamed Ramadhan.

Mohamed Ramadhan a été arrêté en Février 2014, pour son implication soupçonnée dans l’explosion d’une bombe ayant coûté la vie d’un policier. Les services sécuritaires bahreïnis l’ont arrêté sur son lieu de travail, sans lui présenter de mandat d’arrêt et sans en informer sa famille. Une fois arrêté, des fonctionnaires du gouvernement l’ont transporté jusqu’au bâtiment du Département général des enquêtes criminelles du Ministère de l’Intérieur (CID). Sur place, des employés du ministère auraient menacé Mohamed Ramadhan de le torturer s’il n’avouait pas être un « traitre ». Quelques instants après ces menaces, la torture a commencé.

Mohamed Ramadhan explique, dans un article qu’il a écrit en prison, avoir été sévèrement battu avec une barre de fer. Il confie également que les officiers en charge de son interrogatoire l’ont forcé à se tenir debout jusqu’à ce qu’il « s’effondre » quand ils ont appris qu’il souffrait d’une blessure au dos. Il explique également que ces officiers lui auraient donné de nombreux coups de pieds dans le bas ventre avant de le dénuder, et de lui infliger des « agressions sexuelles humiliantes ».  Mohamed Ramadhan précise également que les officiers auraient « menacé de violer [sa] femme et [ses] sœurs devant lui ». Cette torture psychologique, physique et sexuelle a duré quatre jours, jusqu’à ce que Mohamed Ramadhan ne signe des aveux erronés pour y mettre fin.

Mohamed Ramadhan explique que le gouvernement savait qu’il n’avait aucun rapport avec l’explosion de la bombe mais que « sa participation à des manifestations ainsi qu’à d’autres activités politiques faisaient de lui un traître qui devait être puni pour ses crimes ». Il ajoute même que les officiers qui l’ont interrogé et torturé lui avaient dit qu’ils « attendaient juste un incident majeur pour l’en accuser ». Pendant les mois qui ont précédé son procès, Mohamed Ramadhan n’a jamais été autorisé à échanger avec son avocat. De plus il a été déclaré coupable presque entièrement sur la base de ses aveux forcés, obtenus sous la torture. Mohamed Ramadhan a été condamné à mort en Décembre 2014. En Mars 2018, suite à des preuves confirmant le recours à la torture, l’Unité des Enquêtes Spéciales (SIU) du parquet bahreïni (OPP) a demandé à ce que le dossier de Mohamed Ramadhan soit réexaminé. Quelques mois plus tard, la Cour de Cassation de Bahreïn a annulé sa condamnation à mort. Cependant, le procès n’était pas fini et Mohamed Ramadhan fut à nouveau condamné à mort pour dans la même affaire dans les mois qui suivirent cette décision.

En décembre 2019, des Membres du Parlement Européen ont envoyé une lettre au gouvernement de Bahreïn soulevant leur inquiétude au sujet du nouveau procès de Mohamed Ramadhan. Dans cette lettre, les parlementaires ont demandé aux autorités bahreïnies de s’assurer que Mohamed Ramadhan ait le droit à un « procès qui respecte entièrement les standards internationaux de procès équitable excluant toute preuve obtenue sous la torture, et sans recours à la peine de mort ». Ils ont également insisté sur la nécessité pour le gouvernement de Bahreïn de « promptement mener une enquête crédible et indépendante au sujet des allégations de torture ayant été rapportées dans le cas de Mohamed Ramadhan (…) ainsi que de prendre les mesures appropriées afin de traduire les auteurs en justice ».

En Juillet dernier, suite à l’annonce du verdict final de la Cour de Cassation de Bahreïn, réaffirmant la condamnation à mort de Mohamed Ramadhan (le 13 juillet 2020), 39 parlementaires français, de tous bords politiques, ont signé une lettre similaire à celle de leurs homologues européens dans laquelle ils affirmaient que Mohamed Ramadhan a été « torturé pour avouer des crimes qu’il n’avait pas commis ». Ils ont également rejoint les députés européens en appelant le gouvernement bahreïni « à l’arrêt immédiat des [procédures d’] exécutions » à l’encontre de Mohamed Ramadhan. Depuis le 13 juillet dernier, Mohamed Ramadhan est de nouveau condamné à mort, sans plus aucun recours judiciaire à sa disposition. Il est actuellement dans le couloir de la mort, dans une situation de « risque imminent d’exécution ». Avant son nouveau procès, en Décembre 2019, Mohamed Ramadhan confiait :

« En 2017, j’ai regardé trois de mes camarades prisonniers être conduits jusqu’au peloton d’exécution, ils étaient les premiers prisonniers politiques exécutés à Bahreïn depuis 20 ans. (…) Je ne peux pas décrire le sentiment ressenti quand je me dis que je pourrais être le suivant ».

Ne laissons pas le gouvernement de Bahreïn profiter de la couverture médiatique positive dont il bénéficie grâce au Tour de France pour continuer ces violations des droits humains en toute impunité. Ne laissons pas Mohamed Ramadhan se faire exécuter, continuons notre combat.