La traite d’êtres humains se poursuit à Bahreïn

Selon le rapport du département d’État de 2021, Bahreïn satisfait aux normes minimales pour l’élimination de la traite des personnes, ce qui constitue une amélioration par rapport à la manière dont la situation était gérée dans le passé. Il a donc été classé au niveau 1, les pays les plus mal classés étant ceux du niveau 3. Ce rapport du département d’État américain peut être utilisé comme un outil pour faire pression sur les gouvernements afin qu’ils prennent des mesures concrètes contre la traite des personnes. Cependant, des évaluations inexactes peuvent aboutir à des initiatives inefficaces et superficielles, inutiles pour lutter contre la traite d’êtres humains. Ces dernières années, Bahreïn n’a pas réussi à poursuivre ou à condamner les individus coupables de traite de travailleurs migrants par le biais du travail forcé. Bahreïn n’a pas non plus réussi à identifier toutes les victimes de la traite, et surtout, il n’a pas signalé les personnes qui ont été victimes du travail forcé. Ainsi, l’ADHRB dénonce cette classification qui permet à Bahreïn de recevoir des fonds et une aide étrangère de la part des Etats-Unis, ce qui n’est pas le cas pour les États classés en niveau 3.

Ces dernières années, Bahreïn est devenu une plaque tournante de la traite d’êtres humains et de la prostitution. De nombreuses femmes sont recrutées dans des pays étrangers par des agences privées, qui leur promettent un travail domestique. À leur arrivée, leurs employeurs leur confisquent leurs passeports, empêchant ainsi les victimes de s’enfuir, et les contraignent à se livrer au commerce du sexe. La plupart des victimes viennent d’Éthiopie, des Philippines, d’Inde, d’Indonésie et du Kenya. Bien qu’il n’y ait pas beaucoup d’informations sur le nombre de travailleurs migrants qui ont été contraints de se livrer au commerce du sexe, ADHRB est préoccupée par l’ampleur de ce type de trafic humain. D’autant plus que récemment, la marine américaine a été impliquée dans un scandale de commerce sexuel à Bahreïn. Depuis 2017, au moins neuf marins ont été inculpés dans le cadre d’un trafic sexuel à l’encontre de femmes thaïlandaises, retenues en otage et trafiquées par les marins. Cela concernerait environ 15 % des marins américains stationnés à Bahreïn qui sont impliqués dans le commerce du sexe. Malgré des allégations et des preuves sérieuses, Bahreïn n’a pas fait preuve d’efforts suffisants dans cette situation. Au lieu de combattre les crimes de la marine américaine ou de punir les officiers bahreïnis impliqués dans le trafic sexuel, le tribunal a condamné des étrangers dans des affaires de prostitution ou des délinquants bahreïnis de bas rang. À Bahreïn, les hauts fonctionnaires impliqués dans le commerce du sexe ne sont pas tenus pour responsables, seules les victimes du commerce du sexe ont été poursuivies.

Le travail forcé est un autre problème majeur à Bahreïn. En 2019, sur les quelque 1,6 million de résidents de Bahreïn, plus de 600 000 sont des travailleurs migrants. Ils correspondent à environ 54,7 % de la main-d’œuvre du pays. La plupart d’entre eux occupent des emplois non qualifiés ou peu qualifiés, dans des secteurs tels que la construction, le commerce de détail et de gros et le travail domestique. Environ 99 500 d’entre eux sont des travailleurs domestiques (dont 75 305 femmes). À Bahreïn, le système kafala reste en place, empêchant les travailleurs migrants de quitter leur employeur. Ils travaillent souvent de longues heures, sous des températures élevées, et subissent des violences psychologiques et physiques. Leurs passeports sont conservés par les employeurs et ils attendent souvent des mois avant d’être payés. Ainsi, ils sont retenus en otage à Bahreïn, sans pouvoir quitter le pays. En outre, leurs droits au travail et leurs droits civiques sont restreints, notamment leur accès aux syndicats ou aux procédures judiciaires. Les travailleurs migrants vivent généralement dans des conditions insalubres et ont un accès limité aux services de santé, ce qui les rend plus vulnérables à la Covid-19. De nombreux travailleurs migrants, vivant dans des lieux surpeuplés, ont contracté le virus et n’ont pas pu accéder aux installations médicales et aux traitements.

Selon les autorités bahreïnies et le rapport du département d’État américain, le gouvernement de Bahreïn a fait de sérieux efforts pour améliorer sa capacité de lutte contre la traite d’êtres humains. Il a créé un parquet spécialisé dans la lutte contre la traite, un mécanisme national d’orientation des victimes et une Haute Cour. Une législation nationale visant à protéger les travailleurs migrants a été adoptée et certains auteurs ont été condamnés. Le 1er mai 2021, la mise en œuvre du « système de protection des salaires » (WPS) est entrée en vigueur, conçue pour protéger les travailleurs migrants contre le refus de leur salaire. Le WPS oblige les employeurs à verser les salaires par virement bancaire. Toutefois, pour qu’une telle réforme ait un sens, il faut modifier le système dans son ensemble. Dans la pratique, les employeurs ne sont pas tenus de respecter cette législation et, comme c’est souvent le cas, les travailleurs domestiques peuvent ne pas être inclus dans ce système. En outre, la loi n° 1 de 2008 sur la lutte contre la traite des êtres humains prévoit des sanctions strictes et habilite l’autorité de régulation du marché du travail à la faire appliquer. Néanmoins, les condamnations ont été rares malgré les violations généralisées de la loi, seuls les cas les plus graves étant transmis au ministère public. En 2020, les fonctionnaires ont poursuivi 27 personnes pour trafic sexuel et aucune personne pour travail forcé. Le travail forcé n’est pas pris en compte par la loi contre la traite d’êtres humains, ce qui empêche de nombreux individus d’être protégés contre la traite, l’exploitation et la violence.

Bahreïn est également engagé au niveau international. En 2017, le royaume a ratifié 12 instruments internationaux relatifs aux droits humains, à savoir : la convention sur le travail forcé, la convention sur l’abolition du travail forcé, la convention sur la discrimination (emploi et profession), la convention sur l’âge minimum, la convention sur les pires formes de travail des enfants. Le 16 juillet 2020, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté sans vote la résolution A/HRC/RES/44/4. Cette résolution porte sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants : renforcer les droits humains en améliorant la protection, le soutien et l’autonomisation des victimes de la traite, notamment des femmes et des enfants. Le Royaume de Bahreïn était membre du Conseil des droits de l’homme au moment du vote, ce qui signifie qu’il était d’accord avec les principes, les directives et les recommandations mentionnés dans cette résolution. Néanmoins, de nombreux principes des conventions et résolutions que Bahreïn a ratifiés n’ont pas été appliqués dans la législation nationale ou mis en œuvre de manière adéquate, ce qui remet en question les résultats qu’ils apportent en termes de lutte contre la traite d’êtres humains dans le pays. Par ailleurs, le gouvernement reste très discret quant à d’éventuelles visites des Nations Unies et d’organismes indépendants pour évaluer la situation des droits humains dans le pays.

La désignation de Bahreïn comme pays de niveau 1 ne sert qu’à cacher la réalité de la situation et ne fait rien pour arrêter réellement la traite d’êtres humains. Au contraire, Bahreïn a fait preuve d’un manque de transparence en offrant une protection aux personnes qui ont été contraintes de se livrer au commerce du sexe ou qui ont été poussées au travail forcé. Les autorités bahreïnies n’ont pas poursuivi les personnes coupables de ces crimes. En outre, Bahreïn a modifié la législation du travail existante afin de réduire le travail forcé, mais continue d’exclure les travailleurs domestiques des protections dont ils ont cruellement besoin. Ainsi, bien que Bahreïn ait fait des progrès sur certains points, il reste encore beaucoup à faire.