Dépêche Sur La Stratégie De « Sport White-Washing » DU Royaume Du Bahrain

Les termes « blanchiment sportif » ou « sports washing » sont utilisés pour qualifier une technique par laquelle des États ayant un mauvais bilan en matière de droits Humain couvrent leur réputation internationale négative en s’associant à divers événements ou compétitions sportives d’importance internationale.

Au niveau de l’État-nation, le blanchiment sportif a été décrit comme faisant partie du soft power d’une nation. Dans la pratique, les États utilisent le lavage sportif pour détourner l’attention des scandales politiques et des mauvais résultats en matière de droits Humain et ainsi redorer la perception que le public a de cet État.

Historiquement, le blanchiment sportif est un élément du soft power d’un État et existe depuis des décennies (par exemple, les Jeux olympiques de 1936 dans l’Allemagne nazie ont été utilisés comme moyen de montrer la supériorité du régime Nazi).

Le sports-washing peut prendre de multiples formes, notamment l’accueil d’événements sportifs et le parrainage d’équipes sportives.

En outre, le Sports-washing correspond également au fait que de riches chefs d’Etat (princes, présidents ou émirs) entrent dans le capital ou même achètent des équipes ou des clubs sportifs afin de bénéficier de leur image extrêmement positive dans le monde entier. C’est ce qui s’est passé, par exemple, lorsque l’équipe de football française PSG et le Qatar ont signé un accord en 2011 ou lorsque, quelques années plus tard, la famille royale du Bahreïn a créé l’équipe cycliste « Bahreïn-Merida » (aujourd’hui Bahreïn-McLaren).

La fédération de F1 et les violations des droits de l’Homme au Bahreïn :

La famille Al-Khalifa a érigé le sport-washing comme sa tactique favorite pour détourner l’attention du grand public des violations systématiques des droits Humain au Bahreïn. En 2002, le roi de Bahreïn a offert une somme d’argent conséquente afin d’obtenir de la Fédération internationale de l’automobile qu’un Grand Prix de Formule 1 soit organisé chaque année au Bahreïn. Le premier Grand Prix du Bahreïn ad’ailleurs eu lieu en 2004.

En mars 2021, plus de 20 organisations internationales de défense des droits de l’Homme et autres syndicats, ainsi que plus de 60 membres du parlement britannique, ont demandé à la F1 de reconnaître la gravité des violations des droits de l’Homme au Bahreïn. Ils ont milité pour qu’une réunion avec les parties prenantes se fasse et pour la mise en place d’une enquête indépendante pour examiner l’impact de la F1 sur la situation des droits de l’Homme au Bahreïn.

Ces demandes ont été rejetées au motif qu’il ne serait « pas approprié pour [la F1] de prétendre » qu’elle est capable de les satisfaire. En outre, la F1 n’a pas reconnu les cas soulevés, des cas de Bahreïniens qui ont été torturés et emprisonnés en partie à cause de leurs critiques et de leur opposition pacifique au grand prix de F1 au Bahreïn.

Pourtant, selon les propres termes de la F1, le sport a un rôle unique à jouer en étant « une force du bien ». Cependant, l’absence de réaction de la F1 a montré que cette affirmation ne compte pour rien dans le cas du Bahreïn. En réalité, le grand prix de F1 au Bahreïn a contribué aux abus et à la souffrance des individus par les autorités bahreïnies, et la F1 n’a pas utilisé sa notoriété de manière adéquate pour aborder ces abus ou pour plaider publiquement en faveur d’une réparation pour ces victimes.

Un cas pertinent est celui de Najah Yusuf. En octobre 2019, la direction de la F1 a déclaré qu’elle soulèverait les recommandations du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (UN WGAD) pour le rétablissement deNajah Yusuf directement auprès des autorités bahreïnies. Quatre courses plus tard, le Bahreïn n’a fait aucune tentative perceptible pour obliger ses agresseurs à rendre des comptes ou à fournir une réparation. En outre, la famille de Salah Abbas Habib, l’homme abattu par la police à la veille de la course de F1 2012 à Bahreïn, reste également sans justice.

Ainsi, le contrat de 15 ans signé entre la F1 et le Bahreïn ne comporte pas les contrôles et les équilibres appropriés en matière de respect et de promotion des droits Humains. Étant donné que les organisations de défense des droits de l’Homme ont constaté que le Bahreïn a poursuivi sa « lourde répression » l’année dernière, « a maintenu sa violente campagne de persécution contre les dissidents politiques, a intensifié son ciblage des enfants », et a considérablement augmenté le recours à la peine de mort au cours de la dernière décennie.  Etant donné que les courses de F1 attirent des millions de téléspectateurs à chaque événement et que, par conséquent, leur pouvoir médiatique et leur influence pourraient constituer un moyen d’action du soft power Humaniste, ce partenariat sans précédent remet en question le rôle de la F1 dans le « lavage sportif » lorsqu’il s’agit pour le Bahreïn d’accueillir et de gérer des courses de F1.

L’appellation contre-intuitive de l’équipe de triathlon Endurance 13 et les 13 prisonniers politiques du Bahreïn :

Onze ans plus tard, la famille royale bahreïnienne a voulu réitérer le succès de cette campagne en créant l’une des meilleures équipes de triathlon au monde. Les autorités bahreïnies ont même décidé de nommer cette équipe « BahrainEndurance 13″. Ce nom rappelle un groupe de 13 militants bien connu, défenseurs des droits de l’Homme et membres de l’opposition arrêtés en 2011 et condamnés à des peines de prison de longue durée en raison de leur implication dansl’éruption du mouvement pro-démocratique de 2011. Ces prisonniers politiques sont appelés par de nombreuses ONG les « 13 du Bahreïn ». L’équipe a été nommée « BahrainEndurance 13″ afin de diminuer l’importance médiatique de ces militants en couvrant le nom Bahrain 13 derrière l’équipe de triathlon et non pas derrière les exactions commises par les forces de sécurité sur ces 13 individus. Offrant ainsi une publicité beaucoup plus positive au pays et à son gouvernement.

Les violations des droits de l’Homme au Bahreïn et les équipes de football européennes :

En 2020, les autorités bahreïnies ont commencé à investir de l’argent dans le football. Cela a commencé avec l’équipe espagnole de Córdoba CF puis lorsque la famille royale a investi 5 millions d’euros afin d’acheter 20% de l’équipe du Paris FC, qui joue en deuxième division française. Ces investissements financiers font partie d’une politique plus large qui vise à « blanchir » l’image du Bahreïn et de la famille royale par le biais d’un investissement plutôt modeste (5 millions alors que le Qatar a investi plus de 1,5 milliard d’euros dans l’autre équipe de football parisienne, le PSG). Grâce à ces investissements, le gouvernement bahreïni espère que le nom « Bahreïn » sera associé à des sports perçus extrêmement positivement par l’opinion publique plutôt qu’aux terribles violations des droits de l’Homme perpétrées par les autorités.

En effet, la famille royale bahreïnie est responsable de la répression et de la persécution arbitraire de nombreux opposants politiques ou religieux qui ont participé au mouvement pro-démocratique de 2011. Ce mouvement, mené par des activistes et des défenseurs des droits de l’Homme proclamant leur opposition au régime, demandant la fin des abus faits à leurs droits et libertés fondamentaux tels que la liberté d’expression ou d’association, dénonçant l’usage systématique de la torture par les autorités et plaidant pour plus de transparence et de représentation a été violemment réprimé par le gouvernement. Le Prince Nasser bin Hamad al-Khalifa lui-même, fils du Roi Hamad, a été profondément impliqué dans cette répression. Il a fermement affirmé son opposition et son aversion pour le mouvement pro-démocratique. Après les soulèvements, il a d’ailleurs directement menacé les athlètes qui choisiraient de prendre part aux manifestations. Il a déclaré : « Quiconque appelle à la chute du régime, qu’un mur lui tombe sur la tête. Quelle que soit son implication ou son soutien à cette cause, il sera puni. Qu’il s’agisse d’un athlète, d’une personnalité mondaine ou d’un politicien, quoi qu’il soit, il devra rendre des comptes en ce moment. Aujourd’hui est le jour du jugement. Bahreïn est une île, il n’y a pas d’issue ». Des témoignages bouleversants attestent même que le prince Nasser lui-même torturait les opposants au régime.

Plus récemment, l’ambassade du Bahreïn en Grande-Bretagne a confirmé, lundi 18 avril 2022, qu’Investcorp, une société basée au Royaume du Bahreïn, est entrée en « pourparlers exclusifs » avec les propriétaires actuels du Milan AC pour une vente d’un milliard d’euros. Ainsi, l’aspect économique, qui peut être considéré par certains comme louable, ne peut que cacher l’aspect politique de cet investissement, qui est detravestir la réalité de leur régime despotique et leur sombre bilan en matière de droits de l’Homme. Ainsi, le grand objectif des dirigeants d’Al Khalifa derrière l’achat de l’A.C. Milan va au-delà des revenus économiques et consiste à blanchir leur image. Al Khalifa cherche à acheter une légitimité auprès des fans de football qui ne sont pas au courant de sa politique et de sa nature. Par conséquent, pour les États du CCG, le football est plus qu’un simple sport : c’est un moyen d’acquérir une légitimité sur la scène internationale. Des pays comme le Bahreïn, le Qatar et les EAU utilisent le football pour se créer une image globale positive et s’assurer une influence dans le monde entier.

Les techniques de Sport washing du Bahreïn et le Tour de France :

Dans une lettre de 2018, des groupes de campagne ont écrit à l’UCI, l’organe directeur du cyclisme, pour protester contre l’octroi d’une licence à l’équipe Bahrain-Merida, et la participation de l’équipe au Tour de France, en raison de préoccupations relatives aux droits de l’Homme. Ainsi, la lettre allègue que l’équipe Bahreïn-Merida pourrait être en violation du code d’éthique de l’UCI, qui exige des participants qu’ils « s’engagent à adopter une attitude éthique ». À ce sujet, la lettre demande instamment à l’UCI de divulguer l’examen de la conformité éthique de l’équipe effectué dans le cadre du processus d’octroi de la licence et de prendre en compte les violations des droits de l’Homme mises en évidence lors de l’examen d’octroi de la licence pour la saison prochaine. Cependant, Bahrain-Merida a fermement démenti ces allégations, arguant qu’elles sont illogiques car l’équipe est complètement distincte et séparée du gouvernement bahreïni. Tant bien même si l’équipe Bahrain-Merida a été lancée en 2017 par un fils du roi régnant du Bahreïn, Sheikh Nasser bin Hamad al-Khalifa, qui est toujours décrit comme le leader de l’équipe sur son site web. Le site web indique même que le projet de l’équipe a commencé « par une promenade à vélo occasionnelle dans le désert du Bahreïn entre Son Altesse le Cheikh Nasser et Vincenzo Nibali« .

Par ailleurs, le porte-parole de l’équipe Bahrain-Merida précise que l’équipe est financée par des sponsors privés. Cependant plusieurs de ces sponsors – parmi lesquels le fonds souverain bahreïni Mumtalakat et la compagnie pétrolière Bapco, qui déclare elle-même être détenue à 100 % par le gouvernement – soient décrits comme des « entreprises semi-gouvernementales ».

Ainsi, le Tour de France et les autres compétitions cyclistes offrent à tous les sponsors d’équipes, des semaines de couverture avec des logos portés par les meilleurs athlètes dans certains des lieux les plus spectaculaires du monde.L‘équipe Bahrain-Merida profite de la couverture médiatique de cette compétition ; et ainsi, le gouvernement bahreïni tente de redorer son image auprès des amateurs de cyclisme. Ce qui est donc, si ce n’est légalement, éthiquement répréhensible.

Conclusion :

La principale raison pour laquelle le gouvernement bahreïni a décidé d’investir dans les sports, qui sont particulièrement importants en Europe, est donc d’améliorer son image et de détourner l’attention du grand public et de la communauté internationale des violations systématiques des droits de l’Homme qui ont lieu dans son royaume.

Ainsi, les athlètes sont manipulés comme outils politiques et font face à des restrictions tout comme les activistes politiques. Parce qu’ils ont tendance à être plus connus que les militants des droits de l’Homme, les athlètes font l’objet d’une plus grande attention pour se conformer extérieurement à une idéologie politique sanctionnée par le gouvernement. Le sport au Bahreïn est continuellement utilisé pour détourner l’attention des violations permanentes des droits de l’Homme dans le pays et pour maintenir une fausse image d’estime dans le pays mais aussi sur la scène internationale.  Il apparaît clairement que le blanchiment sportif est un outil privilégié pour mettre en avant le soft power d’un État ; il apparaît également clairement que ces pratiques minimisent les combats pour l’application des droits fondamentaux de l’individu puisque la lumière ne peut plus être faite lorsque des violations massives sont commises.